Par Michel BRASSINNE
in LOU NISTOUN N°198 - Daté février 2023
Après Toulon, Hyères, Le Beausset, Tourves, voici que La Roquebrussanne rejoint le mouvement mondial des « incroyables comestibles » (incredible edible, en anglais, InEd ou InCo) ! Un phénomène social qui vise à créer une abondance gratuite de fruits et légumes sans engrais ni pesticides dans une commune, avec comme objectif sous-jacent une certaine autonomie alimentaire locale, saine et durable.
Sans oublier le plaisir de se rencontrer, de parler, de lier amitié !
Chacun plante, entretien et partage la récolte du moindre espace urbain, transformé en zone de culture. Dans le cadre de l’allocation d’un budget participatif, le Maire de La Roquebrussanne, Michel Gros, a lancé un appel public à projet. L'association Jardins d'Issole (créée en avril 2022 à la suite de la fusion entre deux associations emblématiques du Val d'Issole : Néoules en Fleurs et Les Jardins d’Alfred) a répondu à cet appel et a été retenue pour son projet de mettre sur pied la démarche des « incroyables comestibles » ! (voir jardinsdissole.com)
L’un de ses membres résume : le projet est circonscrit aux limites communales et s’inscrit dans la mouvance internationale des « Incroyables comestibles ». Il s’agit de :
- Planter des comestibles et des fleurs au sein du village de la Roquebrussanne, dans des endroits préalablement repérés ;
- Tenter, ce faisant, de rapprocher, un peu plus, ses habitants de la nature.
- Mettre, gracieusement, les récoltes attendues en partage ;
- Créer ainsi du lien social dans une plaisante convivialité.
Une approche dans le droit fil de la toute première expérience, 16 ans plus tôt, outre-Manche. C’est en effet à Todmorden, en 2007, une petite ville de 15000 habitants en plein coeur de l’Angleterre, entre Manchester et Leeds, qu’est né le mouvement des « incroyables comestibles ». Une zone jadis prospère, ruinée par la désindustrialisation. Avec beaucoup de familles dans la précarité.
Quel génial vent de folie à soufflé sur Pamela Warhurst et Mary Clear, initiatrices de cet incroyable projet ? Pamela Janice Warhurst en avait la formation : ex-présidente de la Forestry commission, équivalent anglais de l'ONF, vice-présidente de la Contryside Agengy, agence visant à améliorer la vie rurale et un Master d'économie de l'Université de Manchester en poche. Un beau parcours.
Dans une interview à femininbio.com, en février 2021, sa comparse Mary Clear revient sur la genèse des InCo : « Nous étions inquiètes pour le futur de nos enfants et petits-enfants. Alors nous nous sommes demandé ce que l'on pourrait faire pour agir. Les gens ont trop tendance à se positionner en victimes. Nous ne voulions pas être des victimes, nous voulions agir pour rendre le monde meilleur. Nous savions faire pousser des plantes, cuisiner et partager de la nourriture… Alors on l'a fait ! (…)
Les Incroyables Comestibles, c'est l'idée de faire pousser partout en ville des fruits et des légumes. Chacun peut participer à planter les légumes, les faire grandir… et chacun est libre de venir se servir.
A cela s’ajoutaient des préoccupations concernant le changement climatique, la durabilité alimentaire et l’idée de la nécessité de l’entraide collective. Ainsi est né ce mouvement citoyen et solidaire d’agriculture urbaine participative.
Ce à quoi Pamela Warhurst et Mary Clear ne pouvaient s’attendre, c’est l’immense succès de leur idée : la carte du monde est couverte d’InCo et près de 400 villes de France sont engagées !
A Todmoden, les InCo sont devenus une « société de bienfaisance communautaire », sorte de Sarl sans but lucratif, finalement proche de nos scops françaises. Avec la culture de plus de 9000 m². Les restaurateurs achètent à très bas prix fruits et légumes aux InCo, leur permettant de pratiquer des prix à la portée de tous. Les rues sont remplies d’arbres fruitiers et de jardinières pleines d'herbes et de légumes que tout le monde peut cueillir et partager. A son tour l’économie circulaire a engendré d’autres phénomènes : des sculptures sont venues à la rescousse pour embellir l’espace urbain et des fêtes annuelles de partage des récoltes , Kidsfest et « Incredible festival of ideas » notamment, ont fait de Todmorden une...destination touristique ! Des milliers d’éco-touristes venus du monde entier se pressent à Todmorden, devenue une ville prospère.
L’inimaginable s’est produit et fait rêver.
Les InCo se placent dans une longue lignée de jardins de subsistance : les jardins ouvriers du XIXe siècle, créés par Félicie Hervieu et son groupe de femmes, sur l’idée que la charité à ses limites et qu’il faut faire agir collectivement les familles. A New York, dans le années 70 naissent plus de 750 jardins partagés sur les toitures ou tous les espaces en déshérence. En France, c’est en 1997 que naissent les « jardins communautaires » (rebaptisés « jardins partagés » par le gouvernement en 2014 - voir jardins-partages.org). La « coulée verte » de New York, en 2009, a transformé 2,3 km de ligne de chemin de fer désaffectée en immense sentier botanique, sur le modèle de la coulée verte-René Dumont (inaugurée en 1993), de l’Opéra Bastille aux portes de Paris.
Partout on sent un immense souhait, un vrai réflexe de survie, afin que la nature soit partout réinstallée dans notre quotidien, qu’elle soit partagée et sa biodiversité protégée et que nous prenions enfin conscience de son importance, parce que nous en faisons intimement partie, d’une manière totalement fusionnelle.
MB
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