"Supplément frites"

"Quoi de plus banal qu'une assiette de frites ?

Qu'elles soient épaisses ou fines, croustillantes ou ramollies , on prête rarement attention à leur magie. Ketchup, mayo. L'idée de voir dans la frite une créature inspirante, digne d'admiration, semble bien farfelu . Et nul ne songerait à révéré de vulgaires patates comme les peuples d'autres fois l'ont fait avec le poulet et tant d'autres créatures.

Pourtant, la pomme de terre porte en elle une formule magique. Une clé d'harmonie et de perfection s'inscrit comme un code secret sur le parchemin beige de sa peau. En remettant sa « robe des champs », la patate affiche la réponse à une énigme que philosophes, artistes et prophètes ce sont évertués à résoudre. Pour lire son code, il faut la regarder dans les yeux . 

Les « yeux » sont ces points noirs que l'on peine à retirer en épluchant le tubercule . Il s'agit en réalité de bourgeons  ; c'est là que pousseront les tiges de la plante. 

Regardons la patate en face . Car elle a une face  : l'extrémité ou ses yeux sont les plus rapprochés. La pomme de terre grandit de ce côté. De l'autre, elle était rattachée à la tige qui la nourrissait, comme en témoigne une petite cicatrice en forme de nombril. Un bout relié au passé, l'autre tourné vers l'avenir. 

Contemplons le côté de l'avenir, c'est là que se trouve le code secret. Le message est bien caché , mais un observateur perspicace remarquera que, sur notre patate , les yeux ne sont pas répartis au hasard. Ils se succèdent comme des indices . 

Suivons les . L’œil le plus récent se trouve tout au bout de la pomme de terre. Il vient de se former. Son aîné, tout juste plus âgé, est un peu plus loin sur le côté. Celui qui l'a précédé est encore plus écarté... Si l'on relie les yeux dans leur ordre d'apparition, un dessin étrange apparaît. Il forme une longue spirale, étonnamment régulière, aux proportions absolument parfaites.

Les architectes y reconnaîtront l'hélice des escaliers de Chambord, les dimensions du fronton du Parthénon ou de la pyramide de Khéops. Les amateurs de peinture retrouveront les mêmes proportions sur le visage de la Joconde et les toiles de Botticelli. Temps de chefs-d'œuvre dont les auteurs ont dépensé inspiration et transpiration en quête d'une forme harmonieuse, alors qu'il leur aurait suffi de suivre les instructions de la patate ! 

Si l'on mesurait la pomme de terre au rapporteur on remarquerait qu'entre un œil, l'extrémité du tubercule, et l’œil qui le suit il y a un angle de 137,5° exactement. C'est l'angle d'or, une valeur dont les propriétés mathématiques engendrent harmonie et beauté. La spirale formée suivant cet angle garde la même apparence, qu'on la regarde de près ou de loin. Elle nous donne un aperçu de l'infini, particulièrement agréable à l'œil humain. Artistes et mathématiciens la révèrent depuis toujours . 

On sait aujourd'hui que la pomme de terre suit cette règle d'or pour optimiser l'agencement de ces futures feuilles. Par cette disposition des bourgeons, le feuillage captera un maximum de rayons du soleil. En cherchant la lumière, la patate a trouvé la beauté. 

Soyons donc indulgents envers les restaurateurs qui laissent la peau des pommes de terre sur les frites, même si , comme moi, vous pensez qu'elles sont meilleures épluchées . Sur cette peau, on aperçoit des yeux qui nous font un clin d'oeil ; avec eux, on croque un morceau de la beauté du monde. Et même deux, si les frites ont été frites dans de l'huile de tournesol. Car Van Gogh peut l’attester : sur les fleurs de tournesol, les graines, elles aussi, s'agencent suivant l'angle d'or..."

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