Potager du Cabanon 

Interview de Fabrice RUIZ

Tactiques & stratégie 2023 au Potager du Cabanon (Garéoult) face aux changements climatiques.

Par Michel BRASSINNE - 20 Mars 2023

Comme chaque année, je consulte Fabrice RUIZ, qui depuis douze ans, produit des fruits et légumes bio dans le Var, au Potager du Cabanon, Chemin des plans à Garéoult (83136), et en assure la vente directe.

Recueillir ses idées, ses choix, c’est l’occasion de faire le point sur ce que change le réchauffement climatique et qui rend les cultures maraîchères plus difficiles.

Michel BRASSINNE – Alors Fabrice, comment vois-tu 2023 au Potager du Cabanon, notamment par rapport aux changements climatiques? 


Fabrice RUIZ – Il n’y a rien d’original à penser aux deux phénomènes visibles que sont l’augmentation de la chaleur et l’aspect chaotique des événements météo. J’ai envie d’en ajouter deux : l’extinction des pollinisateurs, des insectes en général et l’apparition de nouvelles maladies, fongiques, bactériennes ou virales. Ces dernières étant liées au réchauffement climatique et à la mondialisation de tout.

MB – Ça fait beaucoup de problèmes !

FR - L’aspect chaotique de chaque printemps, tu m’en as souvent parlé : depuis 12 douze ans, de mars à mai, tu as remarqué qu’il n’y avait jamais eu deux printemps identiques. Ces dernières années, on a vu s’installer une douceur climatique précoce suivie d’épisodes de gelées, ruinant pas mal de récoltes. Et ensuite, une montée en flèche des températures et de la durée des épisodes caniculaires.
A cela s'ajoutent des événements inattendus, brutaux : des pluies torrentielles, des coups de vent en tempête. Dans certaines régions on constate des tornades qui n’existaient pas en France auparavant. Le tout avec des épisodes de sécheresse de plus en plus longs. L’hiver que l’on vient de vivre compte parmi les records de sécheresse. S’il pleut après la pousse de la végétation, les nappes phréatiques n’en profiteront pas. Toute l’eau est utilisée par la végétation pour sa croissance. C’est trop tard pour cette année.

MB – Comment répondre à ça ?

ACCROÎTRE LA DIVERSITÉ DES CULTURES

FR - Ma réponse au chaos climatique, à sa violence, c’est l’accroissement de la diversité des cultures. C’est l’idée de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Si on est sinistré sur une culture, il y aura les autres qui survivront et permettront à nous aussi de franchir l’obstacle. Par exemple, je cultive des tomates en serres, mais aussi en plein champ. Je choisis un grand nombre de variétés ayant des caractéristiques différentes.

MB – Je vois un peu partout des choix se tournant vers des cultures quasi tropicales. Je ne parle pas seulement de Hyères-les-pins, où l’on peut produire des mangues et des litchis. Je sais qu’ici, dans le Val d’Issole, on est en climat méditerranéen semi-montagnard. Plus dur qu’en bord de mer. Quand tu dis « accroître la diversité des cultures », penses-tu planter par exemple des faux poivre comme le poivre de Sichuan qui commence à être connu. C’est un arbre et non une liane, comme les vrais poivres. Des arbres qui supportent bien la violence solaire et la sécheresse.

FR - Non, ici, le manque d’humidité par rapport au bord de mer ne permet vraiment pas ces cultures subtropicales. Les faux-poivre peut-être. En revanche, on peut choisir, comme je le fais depuis trois ans, de planter 200 arbres fruitiers par an, en testant différentes espèces. Cela permet de voir ce qui résiste, d’assurer une bonne production, voire de compenser des pertes liées au climat.

PLANTATION A L’OMBRE DES ARBRES.

FR - En plus, ces plantations sont à considérer comme des cultures d’ombrage : on peut cultiver des fruits et légumes à l’ombre de ces arbres. Des cultures qui ne résisteraient pas au soleil direct tel qu’il est aujourd’hui. C’est le cas des fraises par exemple, pour ne donner qu’un seul exemple.

MB - Tu vas nous faire une « forêt comestible », comme j’ai vu qu’il en existait dans le nord de la France.

FR – Non, non ! Il faut que les choses soient simples et efficaces et correspondent à la demande des clients. On peut expérimenter tout ce que l’on veut, mais on ne change pas comme ça la culture locale : la demande de tomates, d’aubergines, de courgettes, de poivrons est le cœur de la cuisine provençale et méditerranéenne. Le cœur de la demande. On retrouve, ici comme ailleurs, le 80/20 des économistes : 80% des revenus proviennent de 20% des variétés de fruits et légumes qu’on fait pousser ! Le reste est plus marginal.

MB – je pensais au Sumac, dont on parlait la semaine dernière. Je suis un fou d’épices, comme tu sais, et le climat permet encore mieux de planter des Sumacs et d’en tirer cette épice merveilleuse, utilisée sur toutes les tables des amateurs d’épices et dans les bons restaurants !

PLANTES AROMATIQUES ET MÉDICINALES

FR – Le Sumac des corroyeurs est une plante très invasive ! Il faut faire attention. On produit déjà des herbes aromatiques d’Asie, comme le Basilic Thaï et d’autres. Cela dit, tu touches là une innovation 2023 au Potager du Cabanon : la culture de plantes aromatiques et médicinales !
La plupart des aromatiques ont en plus des vertus médicinales, qu’elles soient vivaces ou non. Là, on reste dans la culture locale des « herbes de Provence ». Et on peut l’élargir à plein d’espèces moins connues. Des herbes qui participent à la santé de chacun, au moins en mode préventif. Avec Jennifer, ma compagne, on est très attaché à cette approche. Et je crois que les consommateurs de bio aussi. Proposer des plantes aromatiques fraîches ou séchées accompagnera tous nos fruits et légumes cette année.

MB – J’ai bien compris que l’accroissement de la diversité des cultures répond aux aléas, au chaos climatique. Qu’en est-il de la chaleur croissante ? Du manque d’eau ?

FR – Pour l’instant, on est installé le long d’une rivière, l’Issole. On ne manque pas d’eau, même quand le lit de la rivière est sec : elle passe partiellement en dessous. Mais il n’est pas exclu que l’eau finisse par se faire plus rare. Je crois que c’est bien d’étudier ce qui se passe dans les autres pays méditerranéens, qui depuis des siècles ont un climat comme celui que l’on va bientôt avoir : je pense à la Sicile, à la Grèce. En Sicile, le blé dur remplace le blé tendre ; le petit épeautre, variété ancienne de blé, connaît lui aussi un succès grandissant auprès des consommateurs de bio. Un peu partout en France, tu vois des cultures de Sorgho pour nourrir le bétail. Une plante qu’on ne voyait qu’en Afrique il y a encore vingt ans. Les vignes remontent vers le nord aussi et les viticulteurs adoptent des variétés de cépages plus résistants à la chaleur.

FAIRE SES SEMENCES

Il puis, il y a les semences locales, c’est important. Les semences s’adaptent en trois ou quatre ans au climat local. Faire ses semences, c’est à la fois réduire le coût de production d’une manière énorme – c’est cher les semences - et s’assurer d’avoir des graines adaptées au climat du Var et du Val d’Issole en particulier.
Cela dit, il y a des barrières pour l’instant infranchissables : au-delà de 38° les tomates ne poussent plus. La photosynthèse est, elle aussi, gravement perturbée par la chaleur. Les serres servent maintenant à se protéger du soleil ! Alors qu’avant elles devaient remédier à un certain manque de chaleur. Il faut maintenant les peindre pour réduire l’ardeur des rayons ! Mais aussi les ventiler plus qu’avant pour rafraîchir les plantes.

MB – Et les insectes, les pollinisateurs ? Sans lesquels les plantes ne peuvent fructifier ?

LES AUXILIAIRES DE CULTURE

FR – C’est évidemment une catastrophe au niveau global. Localement, vu le peu d’industries et la dimension des terres cultivées, on souffre des pesticides mais moins qu’ailleurs. Mais depuis des années, on a des ruches pour polliniser les tomates, courgettes, aubergines et autres. J’ai l’aide d’un apiculteur heureusement. Je n’ai pas le temps de le faire. Et puis, c’est un vrai métier de gérer des ruches et ce n’est pas le mien. On va avoir une bonne densité d’insectes pollinisateurs. Sans oublier les zones où s’entassent des déchets de coupe où les insectes adorent s’installer. Sans les ruches, ce serait une vraie catastrophe.

MB – A propos d’insectes, depuis pas mal de temps, en bio, on intègre dans les cultures des plantes qui servent d’habitats préférés des espèces qui mangent les nuisibles. Je sais que tu le fais depuis des années, presque entre chaque plant. Maintenant, je vois apparaître l’installation de plantes qui servent de nurseries aux œufs et larves des insectes prédateurs. L’habitat préféré de l’insecte adulte n’étant pas forcément la plante préférée de leurs larves ! Qu’en penses -tu ?

FR – Pour l’instant mon système fonctionne parfaitement, mais je ne demande qu’à essayer. Si cela accroît le nombre final d’insectes auxiliaires, c’est super. Il faut expérimenter. Pas « croire », toujours expérimenter.

LA CONSERVATION A 16°

MB – Dans le domaine des saveurs, comptes-tu poursuivre la conservation des fruits et légumes cueillis à 16° ? Au lieu de 6°, voire 2° dans ce qu’on pourrait appeler les « grandes surfaces » bio ?

FR – Plus que jamais ! En chambre à 16°, la saveur des fruits et légumes est conservée. Entre 2 et 6°, elle est largement dégradée quand ce n’est pas détruite !
Il faut bien comprendre : pour vendre en direct des fruits et légumes au détail ou pour confectionner les paniers, il faut bien qu’on cueille, évidemment. Quand il reste des légumes cueillis – le moins possible – on les entrepose dans une chambre froide à 16°. Quand il fait 35° à 40° l'été, c'est nécessaire. Puis on les met en vente le plus vite possible afin que la saveur et la fraîcheur soient conservées. Tu as remarqué que nos légumes avaient plus de saveur que ceux des magasins bio. Et c’est vrai. C’est vrai parce qu’ils les conservent à basse température, entre 2° et 6°. Et que cela nuit à la saveur. Peu de gens savent cela. Alors oui bien sûr, on va continuer.

MB – D’autres innovations en 2023 ?

FR – Oui !

MB – Ah ! Lesquelles ?

FR – C’est secret ! Tu auras la surprise !!

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Fabrice RUIZ
Le Potager du Cabanon

Michel BRASSINNE


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